Picsou et les Bit-coincoins est une bande dessinée de Jul (scénario) et Kéramidas (dessin) publiée par Glénat dans la collection Mickey vu par..., une série de tomes dans l'univers Disney (Donald, Mickey, Picsou, Dingo, etc.) confiant les clés d'un album à des nouveaux auteurs. De fait, c'est une drôle de surprise de voir une aventure de Picsou avec un tel duo aux manettes. Si Nicolas Kéramidas, qui s'occupe de la mise en dessin, a déjà œuvré sur du Disney, Jul me semblait plutôt adepte de la BD sarcastique, puisqu'il est connu par avoir scénarisé Silex and the City et pour avoir dessiné pour Charlie Hebdo et Fluide Gacial. Toutefois, après quelques incursions dans la BD franco-belge (il a écrit quelques albums récents de Lucky Luke et Spirou), le voilà sur mon territoire de prédilection : la BD de canards.
Picsou et les Bit-coincoins est donc une tentative de « mettre à la mode » les aventures de Picsou en lui faisant découvrir les cryptomonnaies et autres joyeuses modernités financières. L'idée semble bonne sur le papier mais l'exécution est assez creuse. En réalité, le pitch est surtout un prétexte pour que Jul déroule des vannes assez convenues sur Internet, les réseaux sociaux, Elon Musk et le cinéma. Oui oui, un bon quart de l'intrigue est passé à se moquer gentiment du « Festival de Canes ». À la relecture, ce n'est pas tant une aventure de Picsou qu'une suite de courtes histoires à gags : les Rapetou apprennent le hacking, Riri, Fifi et Loulou jouent les influenceurs, Picsou spécule sur le Bitcoin. C'est décousu, sans grande cohérence narrative, pour le plaisir de caser quelques calembours assez usés (et pourtant j'adore ça).
En fait, on a plutôt l'impression de lire un album de commande. Jul ne semble pas tellement s'intéresser aux personnages, se contentant de les faire rentrer au chausse-pied dans une histoire satirique qui aurait s'adapter à n'importe quel univers. Pourtant il y aurait eu long à en dire sur la dématérialisation et la spéculation. Picsou, en dépit d'être d'un avare notoire, est aussi extrêmement attaché à ses possessions matérielles, qui sont autant de souvenirs pour lui. Il aime l'argent physique, au point d'en faire un coffre. Il aime conquérir ses richesses par la force de son travail et le génie de son cerveau, accumuler des trésors et les collectionner. Il y avait une histoire fascinante à raconter sur l'émergence de la « monnaie virtuelle » et la fortune en actifs financiers immatériels, qui est aux antipodes des valeurs du canard le plus riche du monde. Mais cette idée est complètement liquidée au profit d'un humour gentiment réac', qui tire sur l'ambulance des réseaux sociaux. Hardi harr harr, les canards font une duck face, c'est si drôle.
Côté dessin, je dois aussi avouer que le style choisi par Kéramidas n'est pas particulièrement réussi. Pourtant ce que j'ai vu dans ses autres incursions dans la BD Disney (notamment une aventure de Donald et une aventure de Mickey, toutes deux scénarisées par Trondheim) me semblaient mieux intégrer l'aspect enfantin et cartoonesque de l'univers. Ce n'est pas non plus un raté total, juste pas mon style. Mentionnons quand même quelques planches à la composition très réussie (malheureusement trop rares), notamment dès qu'il s'agit de montrer le coffre.
Les interviews et les critiques presse me laissent vraiment perplexes, car je ne comprends pas ce que Jul a essayé de faire. Il affirme avoir voulu moderniser les références de Picsou, mais les BD canardesques se sont rarement appuyées sur des références de l'actualité, qui seront périmées dans quelques années (voire déjà périmées...). C'est plutôt une ambiance, une esthétique et des clins d'œil à genre narratif, notamment l'aventure pulp, qui sont mobilisés. Et surtout le scénario, Jul reconnaît lui-même se sentir « largué » par le fonctionnement des cryptomonnaies, ce qui explique le sentiment de vacuité de l'intrigue. Bref, on sent un auteur qui a voulu tout dire et rien dire en même temps.
Au bout du compte, qu'en retire-t-on ? La sale impression de lire un album parodique, qui tente une satire opportuniste sans jamais réussir à être ni mordant, ni drôle. Toutes les BD Picsou ne peuvent pas être de Don Rosa ou Carl Barks, mais la plupart ont au moins le mérite d'essayer. Il paraîtrait que Jul ambitionne d'alterner chaque année un Lucky Luke et un Picsou. Souhaitons que Disney laisse plutôt leur chance à des jeunes scénaristes avec un peu plus d'imagination.