Critique - Héritages, la campagne Clé en mains

Héritages est une campagne publiée chez Les 12 Singes, utilisant le système Clé en mains qui motorise une bonne partie de la gamme de l'éditeur. J'avais participé au financement participatif sur GameOnTabletop lorsque Les 12 Singes préparait ses deux nouvelles campagnes, à savoir Héritages (action pré et post-apocalyptique), mais aussi Limbes (horreur contemporaine). Le pitch des deux campagnes me plaisait bien, donc j'ai versé mon obole. Quelques mois plus tard, je reçois le PDF et le livret d'environ 80 pages à la maison.

Matériel

Au vu de son prix public (33€), Héritages est un objet surprenamment pas très bien fini. On a devant les yeux un petit livret format A5, en noir & blanc, avec une couverture papier (mais en couleurs). Le tout est accompagné d'une trentaine de feuillets d'aide de jeu pour les règles, les personnages et quelques illustrations. Il y a bien entendu une version numérique (au format PDF) plutôt complète. Il y avait un léger défaut à la découpe sur mon exemplaire qui m'a obligé à séparer moi-même une vingtaine de pages encore attachées entre elles. Rien de dramatique jusqu'ici mais plutôt étonnant.

L'aventure

L'idée principale de cette campagne est de jouer sur deux chronologies différentes. D'un côté, l'équipe A, qui tente d'éviter (ou du moins de minimiser) les conséquences d'une catastrophe apocalyptique imminente. De l'autre côté, l'équipe B, qui cherche à rétablir un monde vivable des siècles plus tard. Ce pitch plutôt original est ce qui m'avait beaucoup fait envie à l'origine.

Dans les détails, Héritages est une campagne orientée action, fortement linéaire même si les scénarios proposent quelques « options alternatives » pour gérer les bifurcations engendrées par certaines décisions importantes de l'aventure. Que ce soit bien clair, ce n'est pas du tout un bac à sable et les PJ n'ont jamais le choix de l'objectif à poursuivre, mais il y a quelques variantes dans les environnements explorés ou les personnages rencontrés. Notamment, les conséquences des actions des personnages de l'ère pré-Apocalypse se répercutent sur les personnages de l'ère après-Apocalypse. Cela joue notamment sur la difficulté de réussir les derniers scénarios, qui peuvent devenir quasi-insurmontable sur les PJ se sont pris trop souvent les pieds dans le tapis au préalable. Par contre, au moins deux scénarios font intervenir un PNJ qui fait quasiment tout le boulot pour les PJ et se content de les mettre sur les rails, avec une longue intro où le groupe ne fait que subir un infodump avant d'être incapacité d'une manière ou d'une autre. Un peu frustrant et pas très intéressant à jouer. Il y a aussi quelques scènes qui sentent bon le remplissage à coups de jets superflus histoire de donner du grain à moudre mais qui n'ont pas ou peu d'impact sur l'histoire, que j'ai allègrement sauté. Au niveau de la narration, c'est quand même cliché et cousu de fil blanc. Les antagonistes de l'histoire manquent cruellement d'épaisseur et d'ailleurs, les PJ n'interagissent quasiment jamais avec leurs véritables ennemis 1.

Les PNJ de manière générale sont assez oubliables et sont en grande majorité des personnages-fonction (le premier ministre, la commandante, la scientifique, le général, …). Faute d'un meilleur mot, c'est un peu beauf par endroits, avec des personnages féminins pas très inspirés et une sur-représentation de mecs dans les PNJ qui font vraiment avancer l'histoire. Les pré-tirés sont OK et bien équilibrés mais pourraient être beaucoup mieux intégrés à l'histoire. L'absence totale de backstory en fait vraiment des personnages « de film ». Bref, on n'est pas là pour le roleplay dramatique mais pour sauver le monde à coup de piou-piou, de cabrioles et de pilotage extrême. De ce côté là, rien à dire, le système Clé en main fait le job (mais il faut aimer les combats).

Les petits détails

Sur la forme, Héritages est nettement en-dessous du standard qualité habituel des 12 Singes et il y a de nombreux problèmes que la relecture n'aurait pas dû laisser passer. Il y a des petites erreurs d'inattention (fautes de frappe ou erreurs d'orthographe) qui ne sont pas anormales, en revanche le sommaire ultra-minimaliste, ça fait un peu radin. Il n'y a pas non plus de récapitulatif de l'univers pour les joueurs et joueuses, ce qui n'est pas très dans l'esprit Clé en mains. Côté MJ, on manque d'informations sur les intentions narratives, les textes sont courts et efficaces mais manquent de détails. À vrai dire, on a parfois la sensation qu'on a voulu économiser le nombre de pages en compressant les choses au maximum.

Ces petits détails pourraient passer si cette relecture à la va-vite n'impactait pas le jeu. Il y a de fréquents soucis de cohérence interne dans la campagne : des entités (ou des objets) changent de nom d'un scénario à l'autre, plusieurs descriptions omettent des détails importants pour la suite du scénario et chaque mission a au moins une incohérence narrative qu'il va falloir rustiner en cours de jeu pour ne pas faire dérailler l'histoire. Honnêtement, c'est à se demander si ça a été relu en entier par une autre personne que l'auteur.

Sur les illustrations, celles qui sont fournies sont très bien mais j'en aurais bien vu deux ou trois supplémentaires pour décrire quelques lieux (ou objets) emblématiques, qu'on a du mal à se figurer uniquement sur la base des descriptions rapides du livre.

En résumé

En comparaison des autres campagnes Clé en main que j'ai lu (Pax Elfica, Limbes, Le Roi des Gobelins et dans une moindre mesure World War Korea), c'est de loin la plus faible. Elle a néanmoins le bon goût d'être courte (9 scénarios, qui nous ont occupé 10 sessions de <3h), ce qui nous aura permis d'en voir le bout. Dans l'ensemble, mon avis est mi-figue, mi-raisin. Faut-il conseiller Héritages ? Si on aime le système Clé en mains, qu'on veut une campagne courte, pas trop prise de tête, avec un groupe de personnages déjà équilibré et des scénarios d'action linéaires mais proposant plusieurs embranchements de choix, et qu'on a épuisé les autres options des 12 Singes, je dirais peut-être. En occasion, pour profiter d'un rapport qualité/prix un peu plus acceptable.


  1. Sans trop divulgâcher, l'unique interaction arrive dans le dernier tiers de la campagne et est extrêmement brève. La confrontation finale se fait avec des seconds couteaux, ce qui est quand même un peu dommage. 

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