Critique de film - Ne coupez pas !/Coupez !

Une fois n'est pas coutume, cette critique parle de deux films en même temps : d'une part Ne coupez pas ! réalisé par Shin'ichiro Ueda et sorti en 2017, d'autre part de son remake français Coupez ! réalisé par Michel Hazanivicius et sorti cinq ans plus tard en 2022. Si vous n'avez vu aucun de ces films, je vous invite sérieusement à fermer cet onglet et revenir plus tard. Je suis loin d'être procédurier concernant les spoilers mais (Ne) coupez (pas) ! est un des rares films qu'il me semble réellement bénéfioque de voir sans aucune information préalable. Pas seulement pour l'effet de surprise mais aussi pour profiter au mieux du message du film. Contrairement à d'autres critiques du blog, je vais entrer dans les détails et dévoiler énormément de choses. Fin de l'avertissement, on entre dans le vif du sujet.

Ne coupez pas ! : un miracle en trois actes

Ne coupez pas ! est le premier long métrage de Shin'ichiro Ueda, tourné avec un budget dérisoise (3 millions de yen, soit environ 20 000€) avec des étudiant⋅es d'une école d'art dramatique. Je précise car le contexte a son importance. Le film a mis du temps à être distribué (il n'est sorti en France qu'en 2019) et ne l'a été que grâce à son succès au box-office japonais, où il a fait un carton (plus de 20 millions d'euros). Je m'y suis intéressé assez tôt : avant même sa sortie française, le bruit courait sur les forums de nerds et les réseaux sociaux que le film était une petite pépite. On me l'avait vendu avec des critiques dithyrambiques concernant sa mise en scène, les twists de son scénario et son jeu avec la quatrième mur. Mais surtout on m'avait recommandé d'y aller sans me renseigner avant. Bilan des courses, j'ai réussi à voir le film récemment (oui, il m'a fallu six ans pour trouver l'occasion) à peu près à l'aveugle, connaissant seulement de l'intrigue un bref synopsis : un réalisateur tourne un film de zombies et ça part en vrille.

90 minutes plus tard, quelle merveilleuse surprise. Ne coupez pas ! est bien plus qu'un film de zombies, c'est un film sur le cinéma, sur la création artistique et sur la puissance du collectif. J'ai énormément d'affection pour les films qui arrivent à faire beaucoup avec peu. Ne coupez pas ! est clairement un petit miracle de ce point de vue. Film fauché par excellence, qui embarque des comédien⋅nes inconnu⋅es dans un ambitieux plan séquence de 30 minutes, bricolé avec les moyens du bord, la prouesse technique est impressionnante. Comme je pense beaucoup de gens, j'ai douté devant les erreurs manifestes du début du film. Les dialogues hésitants, les effets spéciaux approximatifs, je me suis demandé : vraiment, c'est un film aussi amateur que ça ? Chaque « erreur » est bien sûr en réalité millimétrée, mais participe à faire douter le public à chaque instant. Même des aspects techniques « objectivement » perfectibles, comme la photo et le cadrage, sont tout simplement parfaits et servent le propos du film. Je trouve que le film dans le film, qui nous est montré dans le premier tiers, a un cachet exceptionnel. On croit viscéralement à l'amateurisme de ce court-métrage de zombies fauché, parce que... ben Ne coupez pas ! est un film de zombies fauché. Les comédien⋅nes sont excellent⋅es, avec une direction d'acteur qui gère à merveille la mise en abyme du film dans le film dans le film. On passe avec fluidité des personnages du film à leurs comédien⋅nes, avec une justesse remarquable. Et je pense que c'est l'expérience du tournage de Ne coupez pas ! avec si peu de budget et plein de débrouille qui permet de retranscrire cette vision au sein même du film. L'utilisation des véritables noms des comédien⋅nes pour les personnages brouille encore plus les pistes et contribue à ce gradient fictionnel entre la réalité, le film et le film dans le film et le film dans le film dans le film.

Alors oui, il faut admette que le second tiers de Ne coupez pas ! est un peu mou. Revenir sur les conditions dans lesquels Takayuki se retrouve à réaliser One cut of the Dead soulève des questions intéressantes sur le cinéma et les compromis inhérents à la création artistique moderne. Takayuki, tiraillé entre sa famille, la production et ses aspirations de réalisateur est éminemment sympathique. Reste que cette partie du scénario est un peu nombriliste et illustre encore que le cinéma adore une chose : parler de lui-même. Même si tout est « nécessaire » pour bien culminer vers le climax, la mise en scène et les dialogues dans la « vraie vie » manquent de punch et l'intrigue semble pédaler dans la choucroute. J'ai été curieux de voir comment chaque participant⋅e au projet allait s'y retrouver mais honnêtement, il y a eu une bonne quinzaine de minutes pendant lesquelles je me suis demandé où l'histoire comptait m'amener. Je me doutais que l'on verrait les coulisses de ce fameux tournage en live de One Cut of the Dead. L'astuce d'en faire une diffusion en direct créé également un nouvel enjeu : on sait que Takayuki va y arriver, mais on se demande maintenant par quels moyens il y est parvenu.

Et c'est toute la beauté du dernier tiers de Ne coupez pas !. Un nouveau plan de séquence de 30 minutes qui nous montre littéralement l'envvers du décor. C'est une belle astuce du scénario et une jolie ruse du réalisateur, qui a semé derrière lui de nombreuses « erreurs » dont on va désormais découvrir qu'elles étaient parfaitement calculées. C'est tout simplement génial. Malgré tout, tous les personnages se valent pas. La petite famille Takayuki, Mao et Harumi bénéficie de bien plus d'emphase que Aika et Chinatsu, par exemple, dont l'arc narratif se termine en eau de boudin, sans aucune résolution claire. Mais quel concept ! Quelle exécution ! Nous présenter une galerie d'être humains, faillibles chacun⋅e à leur façon, qui parviennent à surmonter les obstacles pour construire ensemble une œuvre artistique, de façon aussi vraie, c'est épatant. Cerise sur le gâteau, j'ai adoré la fin, où l'absence de grue pour lever la caméra est surmontée par une littérale pyramide humaine, triomphe du collectif sur l'individuel. J'ai trouvé ce message de conclusion touchant et porteur d'espoir.

Ne coupez pas ! a été une excellente surprise, une petite pépite rendue possible par un alignement d'astres qui ne se reproduira pas de sitôt.

Coupez ! : copie conforme

Et voilà qu'en 2022 sort en salles Coupez !, nouveau film de Michel Hazanavicius, réalisateur en tête de gondole du cinéma français des deux dernières décennies (césarisé, oscarisé, rien que ça). Comme beaucoup j'ai découvert ado La Classe américaine et j'ai eu ma dose de rires devant les deux premiers OSS 117. Néanmoins, j'ai des a priori négatifs concernant les adaptations occidentales de films du cinéma asiatique, tout particulièrement des griefs envers les repompes des classiques du cinéma japonais et coréen 1. Hazanavicius reste un cinéaste que j'apprécie 2 donc il faut donner sa chance au produit.

Oui, je trouve que l'adaptation est bien fichue. Je ne reviens pas sur le scénario puisque c'est un décalque quasiment plan par plan du film de Shin'ichiro Ueda. Le remake se place à la fois dans la continuité de l'original sans prétendre à le remplacer. En clin d'œil à l'original, Rémi, le personnage principal du réalisateur 3, a pour mission d'adapter One cut of the Dead, petit film japonais de zombies, en plan séquence, diffusé en direct et qui a fait un carton dans son pays. C'est une plutôt bonne idée qui permet de replacer le scénario dans l'espace culturel français avec ses acteurs et actrices bien de chez nous. Il y a quelques trouvailles que j'ai bien aimé, comme le fait d'avoir conservé les noms japonais, extrêmement perturbant mais justifié dans le film par la volonté de la production d'emmerder le réalisateur qui n'en fait qu'à sa tête. L'ajout de Faith, musicien et bruiteur qui n'a pas d'équivalent dans l'original, incarné par le souvent drôle Jean-Pascal Zadi, ajoute quelques bons gags au film.

Ceci étant dit, la magie à l'œuvre dans Ne coupez pas! était celle du cinéma indépendant, à la limite de la production amateur. Hazanavicius ne joue absolument pas dans la même, son remake étant d'ailleurs doté d'un budget plus de cent fois supérieur à celui de l'original. Cette adaptation manque cruellement du charme de la débrouille. La photo est trop propre, la lumière trop jolie et surtout les comédien⋅nes sont trop connu⋅es : Romain Duris, Bérénice Béjo, Jean-Pascal Zadi, Grégory Gadebois, Matilda Lutz, Raphaël Quenard, Finnegan Oldfield, je fais la liste pour bien que vous compreniez le niveau. En castant autant de personnalités en vogue du cinéma français, en abusant de la débauche de moyens auxquels il a accès, Hazanivicius sabote toute la subtile confusion de l'original qui savait flouter la frontière entre réalité et fiction. Du coup, les « erreurs » sautent aux yeux du public, mais on conscientise parfaitement que celles-ci sont volontaires. C'est un film d'Hazanavicius et c'est Bérénice Bajo qui est en train de bafouiller sa réplique, bien sûr que c'est fait exprès ! Comment ça ne pourrait pas être fait exprès ? En fin de compte, le métrage fait « faux », presque pastiche, là où l'original laissait toujours planer le doute : qu'est-ce qui est fait exprès, qu'est-ce qui est accident ?

Et puis voilà, côté casting, c'est hit and miss. Je trouve que Romain Duris est souvent à côté de ses pompes et a du mal à sortir le même enthousiasme chaotique de Takayuki Hamatsu dans son rôle de réalisateur médiocre mais inspiré. Les membres du trio de tête (Finnegan Oldfield, Bérénice Bejo et Matilda Lutz) font du bon boulot, même si les dialogues écartèle parfois leurs personnages dans des directions un peu confuses, la faute à une traduction française peut-être un peu trop franchouillarde. Côté personnages secondaires, c'est simple, on prend des gens qui jouent ont l'habitude jouer un peu tout le temps la même chose. Donc on retrouve avec plaisir Gadebois, Zadi, Chassagne et Quenard qui jouent... la même chose que d'habitude, chef. Les adaptations du scénario et des dialogues m'ont semblées superflues à plusieurs reprises, préférant souvent la blague un peu facile plutôt que conserver les aspérités des personnages. L'ensemble laisse une impression plus lisse, plus consensuelles et moins anguleuse que l'original.

À la réflexion, je trouve en fait qu'il y a quelque chose d'extrêmement prétentieux à vouloir refaire Ne coupez pas ! en singeant son aspect cheap. Dans l'original, la débrouille est nécessaire, c'est un indispensable face aux moyens ridicules dont disposaient Ueda. Du coup, le film transpire l'amateurisme parce que c'est amateur, c'est un premier long-métrage, fauché, techniquement sous-équipé, joué par des gens dont c'est la première apparition à l'écran. Voir Hazanavicius débarquer avec ses potes et cinq millions d'euros en poche pour refaire le film en bien mieux, puis lui ajouter un vernis « bricolé » me semble malhonnête artistiquement. Coupez ! m'a donné par moments l'impression de voir une bande de premiers de la classe faire les idiots, dans le luxe et le confort de leur position privilégiée du cinéma français. Iels savent pertinemment que ce film ne comporte aucun risque pour leur avenir, qu'au pire iels n'auront fait que s'amuser, grâce au filet de sécurité que représentent leurs carrières respectives. 4

En résumé, je ne peux pas dire que j'ai passé un mauvais moment devant Coupez !. Cependant, j'aurais apprécié un peu plus d'humilité de la part des égéries du cinéma français. Ce remake force trop le trait pour être attachant. Si j'avais dû confier cette adaptation à un⋅e français⋅e, j'aurais préféré dénicher un⋅e réal moins connu⋅e, avec un budget moins élevé et surtout moins de star talent, pour faire honneur à l'original. Ça reste une adaptation qui se regarde et aura le mérite de faire découvrir le film aux allergiques de la VOST ou de l'esthétique du cinéma japonais.


  1. je pense en particulier à Oldboy (remake mal fichu par Spike Lee de l'excellent film de Park Chan-wook) et à The Ring (classique de l'horreur japonaise réalisaé par Hideo Nakata, remake passable mais peu intéressant par Gore Verbinski). 

  2. dans le domaine de la comédie du moins, j'ai détesté The Artist que j'ai trouvé crâneur et creux. 

  3. incarné par Romain Duris, qui me sort par les trous de nez mais c'est peu pertinent à préciser ici. 

  4. un travers qui est partagé avec The Disaster Artist de James Franco, qui se moque allègrement de The Room du détestable Tommy Wiseau, en retournant ses mauvaises scènes les plus cultes juste pour le fun. 

links

social