Invincible est l'adaptation en série animée d'un comics écrit par Robert Kirkman (The Walking Dead) et dessiné par Cory Walker (Spiderman, The Punisher). Le pitch est assez simple: Mark est un ado américain dont le père est Omni-Man, genre de Superman et accessoirement super-héros ultra puissant. Il se découvre des pouvoirs, mais aussi la véritable origine de son père : un extra-terrestre qui n'a pas que des bonnes intentions pour la Terre. Le concept est alléchant, Invincible s'inscrit dans une ligne d'histoires de super-héros pour les adultes, avec des morts, des traumatismes et des considérations philosophiques sur ce qu'impliquent les super-pouvoirs. Je n'avais pas lu le comics avant de me lancer dans la série animée, toutefois je savais que celle-ci avait été beaucoup comparée à The Boys pour son traitement gritty des super-héros.
Assez vincible quand même
Après trois saisons, Invincible me laisse sur ma faim. Sur le plan technique déjà, la série est un cran en-dessous des standards actuels de l'animation, aussi bien concernant l'image que le son. Pourtant, le casting voix est de grande qualité, avec des noms prestigieux et des voix mémorables, comme J. K. Simmons, Sandra Oh, Steven Yeun et Gillian Jacobs. Toutefois, l'exécution est bancale. Certes, les dialogues n'ont rien d'exceptionnels, et ce n'a jamais été le fort de Kirkman de toute façon. Reste qu'ils sont gravement desservis par une direction d'acteur aux fraises, qui laisse passer des répliques mollassonnes, voire des intonations complètement à côté de la plaque. Côté visuel, la majorité des plans sont rigides, avec une mise en scène statique qui engendre un rythme mou du genou. Visiblement, tous les efforts ont été concentrés sur les scènes de baston, qui sont décemment animées mais dont les enjeux peinent à convaincre, on le verra plus tard. Bref, la réalisation fait pitié à côté de n'importe quel anime à succès.
C'est pas la super-forme
Sur le fond, la série se cherche beaucoup et tourne souvent autour du pot sans savoir comment conclure. Il y aurait pourtant plein de choses à dire sur la condition de « super-héros », la responsabilité que cela implique et le risque que posent des êtres humains capables de se transformer en armes de destruction massive du juor au lendemain. Pourtant, Invincible peine à tracer sa voie et sortir des sentiers battus déjà explorés dans le mainstream. Le scénario alterne entre des questionnements existentiels sur l'héroïsme et romances adolescentes au travers de l'origin story de Mark, dans une histoire d'ado super-héros vue, revue et re-revue. Pour tenter de relancer la machine, des scènes chocs viennent s'intercaler dans ce schéma bien rodé, souvent gratuitement. Je trouve que Kirkman confond « scénario adulte » avec « violence et traumatisme » et oublie d'insérer des enjeux intéressants dans sa narration. Il y a quelques scènes de violence particulièrement marquantes mais elles sont souvent assez gratuites et semblent avoir pour raison d'être la volonté de faire d'Invincible un produit adulte.
En fait, Kirkman se prend régulièrement les pieds dans le tapis de sa propre construction narrative. C'est vrai qu'il n'épargne à rien à ses personnages, qui souffrent en permanence face à une vie qui est loin d'être aussi rose que dans les comics de l'âge d'or. Néanmoins, la majeure partie de cette souffrance est purement sans conséquence. Les blessures physiques sont résorbées en un claquement de doigts grâce à la magie de la « médecine du futur high-tech » qui permet d'absolument tout réparer, de la chaire déchirée aux os brisés, en quelques jours. Les traumas psychologiques sont abordés pendant un ou deux épisodes, puis souvent abandonnés, à l'exception des méchants qui ont généralement le droit à une backstory larmoyante.
Dans l'ensemble, les questionnements autour de la place des super-héros dans la société, pourtant centraux dans l'univers d'Invincible, sont traités maladroitement. Kirkman ne semble jamais réussir à trancher par exemple la place que doit occuper Omni-Man, le père du héros et donc personnage à haute portée symbolique, qui oscille lentement entre allié et antagoniste, le cul entre deux chaises. D'ailleurs [spoiler] le scénario tient un double discours assez douteux autour du fait de tuer une personne pour en sauver d'autres, même involontairement. Dans la saison 1, Mark est gravement traumatisé par le fait d'avoir tué des innocents dans des dommages collatéraux, ce qui est parfaitement compréhensible. Pourtant, les super-héros de l'univers de la série ont une approche assez brutale, susceptible de provoquer beaucoup de dégâts et ce sujet n'est jamais évoqué avant la fin de saison, alors même que l'on assiste à plusieurs interventions franchement dangereuses de divers groupes de héros. En fait, personne d'autre que Mark ne semble se poser la question, ce qui est franchement étrange. Un autre exemple de moralité à géométrie variable est le semi-arc de rédemption amorcé par Omni-Man dans la saison 2 : Grayson est littéralement sauvé de sa programmation éthique Viltrumite par « le pouvoir de l'amour », ce qui ne présage rien de bon tant le personnage a commis (littéralement) des crimes contre l'humanité. Ces questionnements et ces contradictions peuvent donner lieu à des débats intéressants : au début de la saison 3, Mark s'oppose frontalement à Cecil et le GDA concernant la possibilité de réformer d'anciens super-vilains. Cecil pointe alors justement du doigt que Mark refuse aux autres la clémence qu'il a accordé à son propre père. J'espère que Kirkman résoudra cet arc narratif mais jusqu'à présent, tous les conflits entre les « gentils » se sont résolus de manière simple, voire simpliste (Mark n'a plus de problème d'identité secrète depuis qu'il est en couple avec une super-héroïne, Debbie a accepté Oliver malgré ses réticentes initiales, etc.). Je termine ici les spoilers mais je trouvais important de donner des exemples concrets du flou artistique que je reproche dans la façon qu'a Kirkman de construire son histoire. [/spoiler].
Hippopotame ou rhinocéros ?
Mon dernier grief concernant Invincible est son power scaling. Il est de tradition dans les comics que le super-vilain soit juste assez fort pour tenir tête au super-héros, et souvent un peu plus fort pour forcer le héros à trouver un moyen de le battre. Dans Invincible, ce principe est poussé à son paroxysme. D'un côté, Mark et ses ami⋅es ont des pouvoirs incroyables et absolument inégalé⋅es (Atomic Eve peut manipuler les fondamentaux de la matière). Pourtant, le moindre super-vilain venu est capable de les mettre en difficulté. Et même pas de façon intelligente en prenant des otages ou en entravant leurs pouvoirs, non, juste en étant costaud. En pratique, cela signifie que les capacités des super-héros fluctuent énormément d'un épisode à l'autre. Invincible est aussi faible ou fort que ce que le scénario impose dans une scène donnée, ce qui sabote la cohérence interne du récit. C'est un artifice acceptable dans un comics classique, mais Invincible se positionne justement dans le camp des histoires gritty, qui montre la face cachée plus réaliste des super-héros et des conséquences de leur existence dans un monde similaire au notre. Cet aspect est à mon sens complètement raté et participe à faire d'Invincible un énième comics « pour adulte », confondant vulgarité avec maturité 1.
Finissons-en
Pendant mon visionnage des trois saisons d'Invincible, j'ai lu beaucoup de critiques concernant cette série, dont quelques comparaisons avec le comics. Je trouve que les critiques ont été complaisantes avec cette série. C'est une adaptation passable d'un comics pour jeune adulte qui était peut-être novateur en 2004, mais qui a du mal à dégager un message clair qui justifierait sa popularité en 2025. Pour ma part, impossible de mettre une bonne note tant la réalisation accumule les défauts. Le pire, c'est que les auteurs en sont conscients, puisqu'ils plaisantent au sujet de l'animation dans la saison 2. Mais c'est pire de faire du mauvais boulot et d'en être conscient, une blagounette n'excusant pas la faiblesse technique. Le scénario de Kirkman souffre des travers de The Walking Dead : des bonnes idées mais des arcs narratifs qui mettent des plombes à se résoudre, pour des payoffs rarement incroyables une fois que l'on retire le facteur choc des scènes traumatiques. En résumé, Invincible est une série qui a du potentiel mais largement inexploité. Un peu comme son personnage titre, finalement.
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D'ailleurs la série est particulièrement prude en ce qui concerne la sexualité des personnages. D'un côté, tant mieux puisque ce sont des ados, de l'autre, c'est aussi un signe que le scénario n'est pas si adulte que ça. ↩