Vulgarisation scientifique et infodivertissement

La vulgarisation a plutôt le vent en poupe en ce moment, surtout en vidéo. Le nombre de vidéastes qui produisent des vidéos de vulgarisation dans tous les domaines (biologie, mathématiques, économie, cinéma, histoire, droit, sociologie, linguistique, physique, électronique, j'en passe et des meilleures) ne cesse de croître. Après tout, la barrière à l'entrée n'a jamais été aussi faible et il y a visiblement de la demande.

Moi, il paraît que je sers la science et c'est ma joie1. Parfois on me demande mon avis sur la vulgarisation scientifique. Et comme j'ai souvent la flemme de me répéter, je résume ici ce que j'en pense. Vous constaterez que je dresse un tableau assez assez négatif dans l'ensemble, mais restez tout de même jusqu'à la fin, il y a quelques points positifs.2

1. Les vulgarisateurs et vulgarisatrices

Mon grief numéro 1 porte sur les vidéastes. Voilà, c'est un peu moche, c'est à la limite du ad hominem et ça flirte avec l'argument d'autorité mais je suis gêné aux entournures quand une personne qui n'est pas spécialiste d'un domaine prétend pouvoir le vulgariser correctement. Ce qui est délicat en vulgarisation c'est que l'on cherche à transmettre un savoir. Il est donc préférable de le maîtriser et surtout d'avoir du recul sur celui-ci afin de pouvoir déterminer :

  • ce qui est important de dire (la substanfique moëlle que le public doit retenir),
  • ce qui est important de ne pas dire (ce qui brouille le message ou complexifie la compréhension),

et ce sans trahir l'état actuel des connaissances !

En réalité, il me semble que ce recul s'acquiert soit au travers d'une expertise obtenue par des années de pratique, soit une activité de recherche ou d'enseignement à un haut niveau (disons, dans l'enseignement supérieur). Mais le profil de beaucoup de vidéastes est assez différent, on trouve pêle-mêle des amateurs et amatrices éclairées, des hobbyistes, des chercheurs et chercheuses mais aussi des docteur⋅e⋅s et des jeunes diplômé⋅e⋅s.

Pourtant, faire de la vulgarisation ne s'invente pas. En fait, la médiation scientifique est un métier. Il faut savoir identifier une idée, la présenter et l'illustrer, si possible avec des expériences pratiques et dans tous les cas avec une bibliographie fiable et accessible. Prenez cinq minutes, prenez une vidéo de vulgarisation que vous adorez : y a-t-il une bibliographie ? Les affirmations sont-elles sourcées ? Y a-t-il plusieurs sources ?

2. Quoi vulgariser ?

Problème n°2 : l'infodivertissement 3. C'est souvent un choix inconscient des vidéastes, poussé par les plateformes qui les rémunèrent, mais le contenu des vidéos est généralement assez pauvre en information. Qu'avez-vous retenu de la dernière vidéo de vulgarisation que vous avez-vu ? Une anecdote amusante sur l'impératrice d'Autriche ? Est-ce que c'est si intéressant ?

Mais bien sûr tous les sujets ne se valent pas. Pour qu'une vidéo rémunère convenablement la personne qui la réalise (d'autant plus s'il s'agit d'une équipe), il va falloir attirer des vues. D'où les mécanismes attrape-clics d'aperçus affriolants et de titres provocateurs. Parfois c'est simplement superficiel, parfois cela s'infiltre même dans le contenu. Combien de vidéos de vulgarisation sont en fait des « top 10 » déguisés d'anecdotes (ces animaux qui voient des couleurs invisibles ! les batailles les plus sanglantes de Bretagne ! les lois les bizarres des États-Unis !) ? Je ne crois pas que ce soit de la médiation scientifique ou culturelle de qualité 4.

Et puis il y a ces chaînes qui sont là depuis longtemps et qui inévitablement finissent par sortir de leur spécialité. Tout devient plus dur : on ne maîtrise plus le sujet aussi bien, la biblio est plus laborieuse, préparer la vidéo prend plus de temps. Mais derrière il y a la pression aux vues, le besoin de se rémunérer pour payer le loyer, alors peut-être que l'on baisse un peu la barre. Une fois que l'on a vulgarisé toute la physique quantique, soit il faut aller dans les détails (mais alors on fait un cours, on ne vulgarise plus vraiment), soit il faut faire autre chose. Quitte à être moins exact.

3. Comment vulgariser ?

Le problème n°3 est une autre facette de l'infotainment: pour capter l'attention, le format même des vidéos tend à dériver de l'informatif vers le divertissant. Une grande majorité des vidéastes en vulgarisation incluent de l'humour dans leur contenu. Ce n'est pas un mal, c'est même un ressort souvent utilisé dans l'enseignement pour maintenir l'intérêt. Mais c'est parfois au détriment de la clarté du message.

C'est aussi souvent au détriment de la profondeur du message. Certains concepts sont difficiles à assimiler la première fois et il faut y passer plus de quelques minutes. Ces quelques minutes sont souvent moyennement agréables parce qu'il faut réfléchir. Si la concentration est interrompue parce que la vidéo vous balance un calembour à la figure, on reste dans de la pensée superficielle. Ce n'est pas fondamentalement une mauvaise chose mais on n'en retire a priori beaucoup moins de connaissance et de compréhension.

Ce qui est affreux c'est que par-dessus tout ça vient s'ajouter un phénomène contre-intuitif : des explications claires ont tendance à provoquer un excès confiance chez la personne qui les reçoit. Autrement dit, en regardant de la vulgarisation, on a tendance à croire que l'on comprend mieux que ce que l'on a réellement compris. Je pense que c'est d'autant plus vrai si le contenu n'est pas structuré de sorte à réellement nous laisser réfléchir. Alors si en plus le fond est bancal, la vidéo est plus néfaste qu'utile du point de vue de la transmission des connaissances.

En pratique, bien vulgariser demande une certaine rigueur: des sources, une structure claire, des essais sur un public test. Et toujours se poser la question de savoir ce que le public va réellement retenir.

Donc...

Donc en général je n'aime pas trop la vulgarisation. Si j'en regarde c'est plus pour passer le temps que pour m'instruire. Pour avoir fait (un peu) de vulgarisation scientifique, je réalise bien que c'est un exercice difficile. Je ne jette pas la pierre aux vidéastes qui s'y lancent : c'est fait avec enthousiasme, pour partager des connaissances passionnantes sur des domaines pas toujours bien enseignés.

Bon, le bilan dressé est assez noir alors je vous fais une confession. Il y a deux chaînes de vulgarisation que je regarde et qui ne m'ont pour l'instant encore jamais déçues. Les deux ont un standard de qualité assez exceptionnel et les deux vidéastes ont fait de la médiation scientifique leur métier (et pas que sur YouTube !) :

  • Scilabus (Viviane Lalande) est docteure en biomécanique et vulgarise... des sciences. Principalement de la mécanique (au sens large, pas les moteurs: les muscles, les mouvements des fluides, etc.) mais aussi de la biologie (surtout liée au corps humain, le biomédical étant sa spécialité) et un peu de physique (matériaux, thermodynamique, etc.). Ses vidéos les plus anciennes sont souvent des illustrations amusantes et expérimentales de phénomènes physiques assez simples (niveau lycée) tandis que les plus récentes discutent plutôt de l'état actuel des connaissances scientifiques sur des problèmes très précis (comme la forme optimale des tournevis ou la formation des ecchymoses) avec des interventions régulières de spécialistes invité⋅e⋅s. C'est d'une rigueur impeccable, toutes les affirmations sont sourcées dans la vidéo et dans la description, c'est souvent bourré d'expériences réelles pour illustrer, bref, c'est le gold standard de la vulgarisation francophone.
  • MicMaths (Mickaël Launay) est docteur en probabilités et vulgarise des mathématiques. Si vous pensez que c'est ennuyeux et théorique, vous pouvez d'ores et déjà changer d'avis. C'est toujours illustré de façon très concrète, même pour des problèmes assez difficiles à conceptualiser (la vidéo sur le nœud de Conway est un bijou alors que le sujet est plutôt du style que l'on verrait être enseigné en master). Les vidéos sont ludiques et l'idée est souvent de « montrer » des concepts mathématiques qui interviennent sans que l'on s'en rende compte dans la vie de tous les jours.

Ne me remerciez pas, après ce tableau déprimant, c'était le moins que je puisse faire.


  1. cf. Léonard (de Groot et de Graef). 

  2. Notons quand même que je ne parle ici que des vidéos de vulgarisation mais que je me garde bien de définir le terme. J'exclue d'emblée les chaînes éducatives (comme L'Esprit Sorcier) et les chaînes quasi-journalistiques (comme Deus Ex Silicium, Linus Tech Tips) qui mélangent études de cas et actualités. En gros, on va mettre la limite de façon un peu arbitraire à « diffuser des connaissances au-delà du niveau bac ». Vous ne pouvez rien y faire vu que c'est moi qui écrit, et toc. 

  3. je sais qu'on utilise plutôt le terme anglais infotainment mais le français a un petit côté désuet qui me plaît bien. 

  4. notons que ce n'est pas une spécificité d'Internet, les émissions de Stéphane Bern sont blindées d'approximations et ressemblent tout autant à des listes d'anecdotes croustillantes que n'importe quel top 10 YouTube. 

links

social