Hier soir, je suis allé au cinéma voir le dernier film de Dupieux: Yannick. Le hasard a fait qu'il s'agit du deuxième film que je vois en quelques jours avec Raphaël Quenard en rôle titre 1. Yannick, c'est l'histoire de… Yannick, qui décide d'interrompre une pièce de théâtre pour exprimer, poliment mais avec une grande assertivité, sa critique plutôt négative.
Je n'ai pas vu beaucoup de films de Dupieux. Oui, je vois les cinéphiles du fond commencer à râler, détendez-vous, les réalisateurs qui s'appellent Quentin ne forment pas l'alpha et l'omega du cinéma. Concrètement, Yannick est le troisième de ses films que je vois, après Au poste ! et Incroyable mais vrai. Je ne vais pas en faire la critique mais Au poste ! m'avait ennuyé avec son absurde qui multiplie les effets de manche, tandis que Incroyable mais vrai commençait bien avant de se laisser embarquer dans une fin paresseuse. Bref, j'attendais avec circonspection ce film, d'autant plus que sa durée (1h05 !) rend chère la place.
Sans trop dévoiler l'intrigue, Yannick tient en haleine pendant une heure, porté par la performance de Raphaël Quenard dans le rôle titre. Il est accompagné sur scène, littéralement, par Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne qui incarnent les comédien⋅nes du vaudeville « Le Cocu ». Le trio est excellent, et malgré ce que je pense par ailleurs de Blanche Gardin, elle joue à la perfection la mauvaise comédienne. Sébastien Chassagne est un peu en retrait, pas pour à cause de sa performance mais tout simplement parce que le scénario place son personnage à l'écart de la plupart des situations.
Il n'y a pas, ou peu, d'absurde dans Yannick. Si je ne dirais pas que l'intrigue est plausible, elle est possible. Le scénario est dense et aborde non seulement la lutte des classes, mais aussi la relation entre le public et les artistes, la pression (et la joie) de la création, la solitude, la place de l'art, le rôle des réalisateur⋅ices et des producteur⋅ices dans le processus créatif et bien d'autres thèmes. J'y ai vu, peut-être à tort parce que c'est ce que j'avais envie d'y voir, une allégorie de la transformation du public, ingrat et insatisfait, en critique, frustré et acerbe, puis sa mue finale en artiste, naïf, maladroit mais sincère. C'est un film touchant et étrangement bienveillant.
Du côté de la réalisation, c'est beau. Il y a quelques mouvements de caméra et jeux de focus entre la scène et la public que j'ai bien envie de revoir. Les plans m'ont semblé assez long, le film est bien ancré dans le réel du théâtre, et c'est probablement un des grands avantages d'avoir un réalisateur qui écrit le scénario : le texte et l'image se complètent merveilleusement bien. La musique est assez discrète mais Yannick n'en a pas vraiment besoin, elle se contente de ponctuer les quelques moments de silence, pour apporter une respiration (pas toujours rassénérante !).
Mon principal grief vis à vis du film est sa fin, que j'ai trouvé, comme pour Incroyable mais vrai, bâclée. Je comprends pourquoi le film s'arrête là où il s'arrête, et que c'est un choix délibéré et volontaire. Cependant, c'est un schéma qui me paraît récurrent chez Dupieux. J'ai la sensation que ces films s'arrêtent systématiquement juste avant ce qui aurait été la scène finale dans n'importe quel autre scénario. C'est subversif et j'imagine que ça passe pour Dupieux, mais je doute que l'on accepte cette même fantaisie chez des scénaristes moins établi⋅es. Ses trois films m'ont tous donné l'impression que Dupieux ne sait pas conclure ses histoires. En voulant éviter d'en expliciter la morale, il finit par coincer son film dans un cul-de-sac narratif. Rédiger une fin devient une épreuve périlleuse qu'il zappe avec un énième tour de passe-passe. C'est peut-être le secret de la productivité de Dupieux : ne pas écrire de fin permet d'amener son scénario n'importe où, puisqu'il n'y a plus de besoin de conclure sur un dénouement satisfaisant. Chez moi, ça ne passe pas, et c'est bien dommage parce que le reste du film tient franchement la dragée haute à pas mal de productions récentes qui se prétendent avoir un message subsversif sur l'art, le cinéma ou la société en général. Et en plus, c'est assez drôle.
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après Cash, dont je vous reparlerai sûrement. ↩