Je suis mitigé. The Apprentice est un biopic à la fois bien et mal fait. Il est réalisé par Ali Abbasi, qui bénéficie d'une certaine liberté grâce au carton de la série The Last of Us. En dépit du titre, qui référence l'émission de téléréalité animée par Trump dans les années 2000, The Apprentice se concentre sur le début de sa carrière, de sa rencontre avec son mentor Roy Cohn en 1973 jusqu'à l'écriture de son autobiographie à la fin des années 80.
Techniquement, c'est bien foutu. Sebastian Stan est excellent en Donald Trump, captant ses mimiques et son phrasé sans pour autant tomber dans une caricature digne du SNL. Jeremy Strong, déjà solide dans Succession, campe ici un Roy Cohn aussi charismatique que détestable. Cerise sur le gâteau, Maria Bakalova incarne une Ivana Trump crédible, ni gaudiche, ni femme-trophée. Le soin apporté à l'image est considérable et permet à Abbasi de retranscrire la photo de l'époque. Pourtant, le scénario est surprenamment tiède pour une personnalité aussi hideuse que celle de Trump. La première moitié du film est absolument dominée par Roy Cohn, dont je ne connaissais pas bien l'histoire mais qui se révèle être un personnage nettement plus intéressant que le jeune Donald. Passé la moitié du métrage, Cohn laisse la place à Trump et le film s'affaisse d'un seul coup, mêlant des scènes anecdotiques de la biographie de l'ex (et futur) président américain. Certes, ces moments illustrent tour à tour différentes facettes de la personnalité de Trump, aussi bien misogyne, arnaqueur, égocentrique, raciste et violeur. L'ensemble perd cependant en cohérence et peine à transcrire comment cet homme d'affaires véreux a réussi à tirer son épingle du jeu à coups de services rendus et renvois d'ascenseur. Qui plus est, chaque scène est l'occasion d'introduire de nouveaux personnages secondaires, sans épaisseur et qui n'interviendront qu'une fois.
Le fond du problème, c'est finalement que Trump est une personne réelle. Si The Apprentice était une pure fiction, ce serait un bon film sur les rouages du monde des affaires américain dans les années 70/80. Néanmoins, c'est impossible de faire abstraction du contexte, surtout qu'il sort en salles trois semaines avant l'élection américaine. Avec cette perspective à l'esprit, difficile de comprendre pourquoi The Apprentice n'est pas plus « explosif ». Les crimes, financiers ou non, commis par Trump sont évoqués du bout des lèvres, sans aucune conséquence sur la narration. L'histoire s'arrête juste avant ses déboires financiers majeurs des années 90 et son premier divorce, ce qui est à mon avis une erreur majeure. On termine avec un Trump certes détestable, mais au sommet de sa gloire. Il ment à tout le monde, mais avant tout à lui même, ce qui l'humanise beaucoup. Involontairement, le film est en fait une figure de requin, impitoyable et à succès. Pourtant, c'est bel et bien un château de cartes que Trump a construit, d'une fragilité considérable.
Plus maladroit encore, le film sous-entend que toute la stratégie de communication politique de Trump était déjà intégrée dans son fonctionnement il y a cinquante ans. En hérigeant Roy Cohn en figure de mentor, la tactique du deny, deflect, delay devient un héritage spirituel adapté par Trump à sa sauce. Je trouve cette construction narrative complètement artificielle, en plus d'être simpliste. Le système Trump a bénéficié de nombreuses complicités dans les institutions américaines, aussi bien le parti Républicain qui l'a accepté en son sein, mais aussi les médias, conservateurs comme progressistes, qui lui ont déroulé le tapis rouge sans discernement, ni discours contradictoire. La responsabilité des élites américaines est quasi-intégralement éludée dans le message de fin renvoyé par The Apprentice, rendant Trump présidentiable de façon immanente.
Bref, il y a à mon sens un énorme problème de timing dans ce film et le message qu'il porte. C'est sûrement un joli coup marketing pour Abbasi qui surfe sur la médiatisation de Trump actuelle. Néanmoins, j'ai du mal à ne pas y voir une bonne dose de cynisme. Une petite déception.