J'ai vu tous les films de la saga Le Transporteur. Ce n'est pas vraiment une fierté mais, si vous me connaissez un peu, vous savez que j'ai un faible pour les films d'action avec des voitures, surtout s'ils ne se prennent pas trop au sérieux. Je vous prépare d'ailleurs une rétrospective d'une saga plutôt connue sur le sujet, et c'est dans le cadre d'une étude comparative 1 que j'ai visionné Le Transporteur, puis ses suites. Alors, accrochez vos ceintures, ajustez votre cravate et préparez votre regard le plus stathamesque, on y va.
Le Transporteur premier du nom est une production EuropaCorp (aïe) dont le scénario est signé Luc Besson, avec l'aide de Robert Mark Kamen. Ce dernier est notamment connu pour avoir écrit le scénario de Karaté Kid et de ses suites, et avait déjà collaboré avec Besson sur Le Cinquième Élément en 1997. Le Transporteur donc raconte les dangereuses péripéties de Frank Martin (Jason Statham), ex-militaire britannique, devenu conducteur de choc spécialiste du transport de marchandises pas vraiment légales. Sorti en 2002, c'est un pur produit de son époque, avec à la réalisation Louis Leterrier, dont c'est le premier long-métrage, et Corey Yuen, qui apporte au film son expertise de la tatane hong-kongaise. Évacuons tout de suite les points qui fâchent. Niveau réal, on sent bien la Bessson touch. C'est clinquant, il y a du budget pour tourner des courses-poursuites dans les rues cannoises et quelques plans pas dégueulasses sur les beaux paysages de la Côte d'Azur. L'ensemble est maîtrisé, même si on retrouve cette palette désaturée assez typique des films d'action de la fin des années 90/début des années 2000. Voilà pour l'image. Au son, on se paie quelques pistes produites par des figures du rap américain et du R'n'B, comme Fat Joe, Nate Dogg et Missy Elliott. Côté script, le scénario ne vaut pas grand chose: Frank découvre que la cargaison qu'il doit transporter est en réalité une jeune femme, Lai Kwai (Shu Qi), impliquée dans un trafic d'immigrés clandestins. Il va donc devoir casser la gueule à tout un tas de criminels pour que la justice triomphe. Et au passage, conquérir le cœur de sa nouvelle protégée. Bref, c'est con à manger du foin.
Qu'est-ce qu'il y a de bien à dire ? Les scènes d'action sont plus que correctes. Les bagarres sont nerveuses, avec une chorégraphie visuellement spectaculaire sans tomber dans le burlesque. Yuen et Leterrier ne tombent jamais dans l'écueil des cuts à répétition, une technique qui sera popularisée un peu plus tard et atteindra son apogée avec la saga Taken à la fin des années 2000. Tout reste lisible, y compris les courses poursuites qui délivrent quelques cascades impressionnantes. Elles ont d'ailleurs très bien vieilli, merci aux stunt artists qui ont permis de ne pas recourir de façon trop ostentatoire aux CGI. 2 Côté ambiance, la mise en scène vient renforcer la personnalité débonnaire de Frank, pour qui Statham délivre une prestation d'action hero contre son gré, efficace mais râleur. La présence de l'inspecteur Tarconi, sous les traits de l'excellent François Berléand, est probablement une des meilleures idées du film, introduisant juste assez de comédie pour contrebalancer le premier degré un peu malaisant du scénario. La bande originale illustre d'ailleurs ce balancement, avec un mix rap, swing et R'n'B de plutôt bonne facture, ça paie d'avoir de la thune.
Faut-il voir ce film ? Je n'ai pas passé un mauvais moment devant. C'est un film d'action popcorn bien fichu mais qui est victime des travers des productions Besson: les femmes sont des personnages-fonctions, style over substance, scénario sans intérêt. Ça se regarde entre potes comme un plaisir coupable de voir Statham cabotiner en costard pour la première fois.
C'est sur ces considérations que je me suis lancé dans Le Transporteur 2. Projeté dans les salles en 2005, la fiche technique ressemble à s'y méprendre à celle du premier volet: scénario signé Besson et Kamen et Louis Leterrier (seul, cette fois) à la réalisation. L'accroche est toujours aussi nulle: dans cet opus, Frank est le chauffeur d'un petit garçon, fils d'un politicien, qui est enlevé par un groupe mafieux au sombre dessein. Au final, le scénario est encore plus con que dans le premier opus et, sans trop divulgâcher, implique une arme bactériologique diffusée pour des motifs géopolitiques assez abscons. Exit pour cet épisode Shu Qi, l'égérie chinoise laissant sa placede love interest de Jason Statham à l'américaine Amber Valletta. C'est aussi l'introduction de la célèbre Audi A8 du transporteur, qui va devenir sa bagnole attitrée la suite de la saga.
Que peut-on dire du deuxième volet ? Qu'il est moins bien, déjà. Besson voulait clairement plus d'enjeux scénaristiques et plus de spectacle, quitte à sacrifier le pseudo-réalisme du premier volet. Le film est sexiste à souhait, avec notamment une méchante incarnée par la mannequin Kate Nauta, mi-tueuse mi-succube, dont la scène la plus longue est un gunfight en sous-vêtements. Les bastons à l'arme blanche sont moins intéressantes sans Corey Yuen à la réalisation, en dépit d'une première scène plutôt prometteuse. Les cascades sont aussi un cran en-dessous: en voulant les rendre plus spectaculaires, Leterrier est contraint par la technique de multiplier les plans et de recourir à des CGI pas toujours très heureux. Le film a remporté le Gérard de la Plus mauvaise production, plus mauvaise réalisation ou plus mauvais scénario de Luc Besson en 2006, ça vous donne une idée de l'accueil qu'il a reçu à sa sortie. Dans l'ensemble, Le Transporteur 2 est en-dessous de son précédesseur. Plus d'ambition n'est pas toujours une bonne chose, surtout quand on se met à se prendre trop au sérieux. Ce second opus peut donc se voir à la suite du premier mais personne ne vous en voudra si vous faites l'impasse. À vouloir se la jouer blockbuster au premier degré, Statham commence à s'enfermer dans une caricature dont il aura du mal à sortir par la suite.
Et parlons-en de la suite. Le Transporteur 3 sort en 2008 et est cette fois-ci réalisé par Olivier Megaton (qui réalisera plus tard Taken 2 et 3, tiens tiens). Je ne sais pas pourquoi Leterrier n'a pas rempilé, mais ce changement a visiblement compliqué le tournage 3, Megaton ayant du mal à s'imposer comme nouveau réal face à Statham, auréolé de sa célébrité acquise grâce aux deux premiers opus. Ça se voit puisque Statham est manifestement en roue libre (vous l'avez ?) pendant les trois quart du film, jouant comme il l'entend au détriment de toute subtilité. Point de difficulté supplémentaire, le scénario est encore signé Besson et Kamen dont la capacité à se renouveler commence à pointer ses limites. Cette fois-ci, Frank va venger son pote Malcom (David Atrakchi), un ami transporteur qui le remplaçait pour une mission. Frank se retrouve alors embrigadé dans une nouvelle livraison: Valentiva Vasilev (Natalya Rudakova), une ukrainienne qu'il doit transporter à Odessa. On se retrouve concrètement dans la même structure que le premier film et vous commencez à piger le schéma: Frank va risquer sa vie pour une jolie jeune femme, qui en retour, s'ouvre peu à peu à lui. C'est ennuyeux, prévisible et truffé de sexisme ordinaire comme de coutume avec Besson. Comme pour les deux films précédents, Berléand est la seule touche un peu sympathique du film mais il est trop peu présent pour justifier de voir ce troisième volet.
Côté réal, les bastons sombrent dans les travers de la période, multipliant les ralentis pour rallonger la sauce et compenser un montage haché moyennement compréhensible. La violence est étrangement aseptisée, avec beaucoup moins de sang et de blessures « visibles » que dans les films précédents. L'ambiance générale perd beaucoup au change: la musique est banale (exit le R&B, voilà de l'orchestral parfaitement oubliable), l'étalonnage alterne entre le bleu froid et le jaune tiède et Statham semble sur autopilote pour la majorité de ses dialogues. Natalya Rudakova balance dans un anglais passable des répliques franchement risibles, mais il faut dire à sa décharge qu'elle a visiblement été repérée par Besson en pleine rue, qui lui a ensuite payé des cours d'acting 4. Je ne vais même pas évoquer l'histoire, qui n'a vraiment aucun intérêt, sans parler de la cascade finale qui réussit le tour de force d'être moins bonne que celle du Transporteur 2. Épargnez-vous ce troisième volet, qui n'a vraiment aucune qualité pour le sauver. En dépit d'un excellent box-office, aucune suite n'est annoncée.
Mais la saga n'est pas terminée pour autant. En 2015 sort Le Transporteur : Héritage (en anglais, The Transporter: Refueled, un bien meilleur titre si vous voulez mon avis, ce qui est le cas puisque vous lisez cette critique). Initialement, le projet était une trilogie, cofinancée par une société chinoise, mais seul un opus est sorti. C'est un reboot de la franchise et sur le papier, il n'y a rien à en attendre: réalisé par Camille Delamarre (qui était monteur du troisième volet ainsi que de Taken 2, on y revient toujours), avec Besson au scénario (assisté par Bill Collage et Adam Cooper) et Ed Skrein en Frank Martin. Et oui, Besson étant un pingre, il proposait à Statham un cachet moins élevé pour la nouvelle trilogie que pour le seul troisième film, s'assurant ainsi que Jason ne mettrait pas les pieds dans sa nouvelle production 5. Que vaut donc cette suite inattendue ? Pfffffffff (c'st le bruit d'un pneu qui crève).
Le film s'ouvre sur une séquence quasiment calquée sur Le Transporteur 2, dans laquelle des voleurs de petit calibre tentent de chourrer à Frank son Audi A8 dans un parking. C'est l'occasion pour Ed Skrein de montrer sa plus belle imitation de Statham, qu'il va conserver tout au long du film. Il faut dire ce qui est: Skrein n'a pas le charisme débonnaire de Statham dans le premier film, mais fait un ersatz tout à fait convaincant, quoique plus filiforme que notre nageur préféré. Malgré la similarité visuelle, ce reboot s'embarque toutefois assez rapidement sur une voie différente de ses prédécesseurs. Si l'on retrouve bien des prostituées, comme souvent avec Besson, c'est parce que ce sont elles qui se vengent et vont embarquer Frank de force dans leur plan pour faire payer à leurs maquereaux des années de souffrance. La demoiselle en détresse est ainsi cette fois incarnée par Ray Stevenson qui joue... Frank Martin Sr., le père du transporteur, enlevé par Anna (Loan Chabanol) et Gina (Gabriella Wright) afin de contraindre Frank à travailler pour elles. S'ensuit alors une longue série de braquages pour dépouiller les trois mafieux russes de toutes leurs possessions, les montant ainsi les uns contre les autres afin de les amener à s'entretuer. Le scénario n'est pas beaucoup plus élaboré que précédemment mais a le mérite de renouveler un peu la formule. Le sexisme est même en retrait par rapport à la trilogie initiale, même si le personnage de Frank Sr. enchaîne les remarques misogynes porcasses durant tout le film. Exit aussi, malheureusement, François Berléand, ce qui créé un vide comique dans ce reboot qui réussit le miracle de se prendre encore plus au sérieux que les originaux.
On ne va pas faire de simagrées, l'ensemble est globalement médiocre. La réalisation est plutôt passable avec quelques jolis plans et un montage assez clean, même si la colorimétrie est toujours aussi fade. La musique n'a rien de particulier, exception faite du générique de fin qui s'élève nettement au-dessus du reste (Rabid Animals de Mani Hoffman & The Leons). Niveau action, le film a quelques très bonnes séquences en voiture, notamment la scène de l'aéroport qui n'aurait pas détonné dans un Fast & Furious 6. La bagarre est considérablement en-dessous, trop confuse, avec une gestion de l'espace extrêmement bizarre (il y a notamment une scène sur un yacht durant laquelle les personnages semblent rentrer et sortir en permanence de la même pièce). La chorégraphie est molle, sans inventivité, la mise en scène préférant faire joujou avec des effets de caméra « modernes » mais à des années lumière en deçà de ce qu'avait pu proposer John Wick un an plus tôt. Le final est décevant et ne donne aucune perspective pour une suite, alors même qu'EuropaCorp avait annoncé vouloir co-produire trois nouveaux films avec la Chine. Ce reboot reste cependant à mon avis une des meilleurs itérations de la saga, probablement à égalité avec le premier film.
Que conclure après avoir vu ces quatre films ? Déjà, Besson a ses marottes et ses tics scénaristiques sont détestables: femmes-objets, très jeunes, héros taciturnes qui s'enfoncent dans la masculinité toxique, enjeux inexistants, cohérence discutable et fascination pour les gros costauds et les grosses bagnoles. L'évolution de Statham sur la trilogie originale est clairement visible, se métamorphosant petit à petit en super-héros monolithique sans intérêt. De manière générale, seul le premier film possède une esthétique un tant soit peu intéressante, les suivants s'alignant sur les blockbusters d'action comme il en sort des dizaines chaque année. En comparaison de Fast and Furious, Le Transporteur manque d'introspection. Là où la saga de Vin Diesel a su prendre conscience de ses propres gimmicks, lui permettant d'en jouer, la saga de Besson est une succession de poncifs étalés au premier degré, avec la conviction que ces éléments sans originalité suffiront à faire de bons films. C'est d'ailleurs attristant de voir que Fast X est un film qui se prend nettement plus au sérieux que l'hilarant Fast and Furious 9, et le fait que Louis Leterrier soit à la réalisation y est sûrement pour quelque chose. Est-ce que cela condamne le dernier volet de FF à suivre le chemin du Transporteur ? Espérons que non.
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non. ↩
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un pari osé de la part de EuropaCorp, qui avait dû essuyer des critiques suite à la mort d'un caméraman lors du tournage d'une cascade de Taxi 2 en 2000. ↩
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en tout cas, selon Megaton lui-même d'après cette interview sur CinéSérie. ↩
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https://web.archive.org/web/20081204112631/http://www.contactmusic.com/news.nsf/article/stathams%20love%20interest%20was%20plucked%20from%20obscurity_1086237 et franchement, ça ne fait que confirmer que Besson est un gros dégueulasse qui choisit des nanas purement pour leur physique, mais qui ça surprend ? ↩
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il faut dire qu'entre temps, Statham a débarqué dans Expendables et Fast and Furious, autant dire qu'EuropaCorp pourrait courir longtemps. Statham a aussi affirmé que l'absence de scénario l'a découragé de signer le contrat, mais entre nous j'ai du mal à voir ce que ça aurait changé vu les films dans lesquels il a tourné sur la période. ↩
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une des cascades ressemble d'ailleurs étrangement à celle de Fast & Furious 6 sorti deux ans plus tôt (2013), dans lequel joue Statham, comme quoi. ↩